CATHLINE SMOOS « THE VR SEXOLOGIST »


Enregistrement : 09/04/2020

Quand les visions d’un autre siècle prennent forme dans la réalité de ce nouveau millénaire […]

Qui se souvient encore de l’engouement des avant-gardes du milieu des année 1990 pour le cybersexe, ses dispositifs immersifs et ses combinaisons haptiques ? Des concepts et une esthétique portés par une poignée d’artistes, quelques chercheurs et de rares revues spécialisées, telles que Mondo 2000, bOING bOING, le Wired d'avant la « net économie » et surtout Future Sex.

Un quart de siècle plus tard, ces fantasmes technologiques s’avèrent toujours plus d’actualité, délaissant un domaine expérimental, voire imaginaire, pour entrer de plain-pied dans la culture et la consommation de masse.

Sexologue et psychologue de formation, Cathline Smoos fait partie de la nouvelle génération de pionniers qui arpentent et défrichent les arcanes du cyberespace. Avec dans son cas, une approche spécifique axée sur le plaisir,le sexe et l’amour, au travers des innombrables déclinaisons et formes de réalités qu’autorisent les nouveaux horizons virtuels.



Outre les aspects techniques, tels que la bande passante ou la puissance exponentielle des cartes graphiques, qu'est-ce qui a changé en matière de cybersexualité depuis l'époque des pionniers ? Quels sont les nouveaux concepts et les nouvelles idées qui ont émergé au cours des vingt dernières années ?

Sur les aspects techniques je ne suis pas experte, je pense que d'autres auront des réponses bien plus pertinentes que les miennes. Mais disons que d’un point de vue sociétal, il y a eu un réel rebond depuis les pionniers, le plaisir sexuel et son expression qui avaient déjà fait une percée spectaculaire dans les années 1970 avec les mouvements contre-culturels de cette époque, ont enfin percé dans les souches de la société plus classique, avec notamment la première échographie du clitoris, les comptes social-médias et le mouvement féministe, qui a pris à bras le corps cette problématique.

Et puis évidemment, la transformation des sex-shops, principalement destinés aux hommes, en love-shops plus lumineux, plus accueillants et du coup plus enclins aux couples et aux femmes. Les sexologues et les psychologues se sont eux aussi vus attribuer une certaine légitimité, évidemment encore à construire, dans la société.

Et puis honnêtement, je pense que dans la mondialisation, et l’échange culturel qu’elle a entraîné, ont été bénéfiques. J’ai l’impression que les différences sont de plus en plus devenues des richesses à entretenir. On est bien plus enclins à l’inter-culturalité (mélange des cultures et co-créations culturelles) qu’à l’intégrationnisme (gommage des différences et adaptation au modèle prédominant) qu’auparavant. On parle de philosophie tantrique, de médecine chinoise, de méditation, même si elle reste inter-culturelle, c’est à dire parfois bien éloigné de leurs origines. Il y a une volonté de co-construire avec nos singularités.

Cette pensée est probablement alimentée par mon histoire personnelle, puisque j’ai toujours été bercée dans différentes cultures. Et j’avoue entretenir des liens avec des personnes qui voyagent beaucoup, je vis en communauté avec des personnes de cultures très différentes. Mais je reste persuadée qu’aujourd’hui, il y a une volonté de se connecter avec le monde. Et la cybersexualité est une aubaine pour toute relation amoureuse à distance. Les sextoys connectés, les face-cams, la réalité-virtuelle, mais aussi les imprimantes 3D, sont de nouveaux outils incroyables.

En matière de cybersexe, l’évolution pour moi réside plus dans l’accessibilité de celle-ci à une plus grande proportion de la population, que dans sa réelle effectivité. Les designs des sextoys sont plus bandants que les machines-bidouilles qui existaient auparavant, leurs fonctionnalités différentes, quoi que similaires, et par contre rendons à César ce qui revient à César, avant il avait la fureur de l’invention.

Qu'est-ce qui t'a motivée pour mener des recherches et des expériences dans ce domaine ? (sourire)

Probablement ce fameux « pourquoi pas » ? Plus exactement, il y a d’une part pour moi la sexualité, puisque j’en ai fait mon métier, j’étais complètement obnubilé par la puissance du sentiment amoureux, et le désir, ça nous donne des ailes et ça nous fait plonger six pieds sous terre quand ça s’arrête.

C’est vibrant, c’est incontrôlable, c’est puissant. L’amour et l’art sauveront le monde. Enfant, j’étais très dynamique, je pense que c’est encore le cas d’ailleurs. Chez moi, c’est mille idées à la seconde. J’ai toujours eu ce sentiment que je ne voulais pas rester dans un seul espace, que je ne pouvais pas rester bloquée dans une situation. Je n’aime pas trop les contraintes, les murs, mais la société prône une certaine stabilité.

Et puis un jour, je me suis rappelé que je possédais le plus bel outil de téléportation : l’imagination. J’ai d’abord explorer ce champ-là, majoritairement au travers de rêves lucides. Puis, j'ai décidé de m'éloigner de ma pensée limitative, du blanc ou du noir, et de donner des nuances à ma sexualité. Je voulais voir personnellement où la sexualité pouvait me mener.

Mais ce qui à vraiment créé le boost, -c’est ma rencontre avec Aurélien Fache, qui se décrit comme un API-artiste et bidouilleur technologique, avec lequel j'ai réalisé mes premiers projets sex-techs. C’est aussi la lecture d’un livre, absolument médiocre, Les Robots font-ils l’amour ? de Laurent Alexandre. J’ai tellement été dégoûtée par sa vision du monde, mais aussi par la médiocrité de sa pensée et évidemment des mensonges qu’il véhiculait, que je me suis retrouvée devant un choix de vie.

Soit je laisse la narration de mon futur à des salauds pareils, soit je rentre dans le wagon et j’essaye de faire quelque chose. Et ça fera toujours une personne de bien de plus dans le wagon ! Bref, à partir de là j’ai commencé à m’intéresser profondément au futur de la sexualité et donc par conséquent à la cybersexualité.



Avant le cybersexe, il y avait déjà la psychologie et la sexologie, en ce qui te concerne. Qu'est-ce qui t'a amené vers ces deux domaines ? Et quel est le cursus, pour devenir sexologue ?

C'est un peu bizarre ce que je vais dire mais, je suis amoureuse de l'Amour. J’adore ce sentiment, et la sexualité qui en découle ou pas d'ailleurs, est une matérialisation de celui-ci.

Dans la sexualité, on se met à nu, il faut accepter une certaine part de vulnérabilité pour être authentique dans sa sexualité avec l'autre et y trouver son essence. En anglais, il y a une phrase que j'aime bien c'est « intimacy is a into-me-see ». Du coup, très jeune, je lisais des petits livres dessus, et puis vers seize ans, je suis tombée sur une conférence d'un sexologue et j'ai adoré. C’était un mix entre un one-man-show et une conférence scientifique, les gens riaient. Ils ressortaient plein d'ondes de charme, d'humeur de champagne. Alors, je me suis tout de suite dit que je voulais faire ce métier. J’ai contacté le sexologue en question, Pascal de Sutter, et il m'a expliqué le cursus : psychologie, sexologie et j'ai plongé.

Pour le cursus, c'est assez compliqué en France. Le métier n'est pas réglementé, donc en résumé n'importe qui ayant vu de la lumière sous la porte peut se prétendre sexologue. Ce qui donne des « professionnels » complètement illuminés (au sens négatif). Après il y a différents types de sexologues, médecins-sexologues qui traitent de l'aspect biologique, des psychologues-sexologues pour l'aspect psychologique, etc. Pour ma part, j'ai orienté toutes mes études de psychologie en lien avec le domaine de la sexualité, les études de genre, les controverses scientifiques sur la sexualité, l’interculturalité. Et puis j'ai suivi une formation de deux ans en sexologie. Actuellement, j'ai repris une nouvelle formation en sexologie et psychologie du couple avec Esther Perel et Terry Real. C’est l'avantage d'être en confinement, j'ai du temps pour ça.

Mais clairement, je pense que mes études m’ont permis d'avoir les bases pour les thérapies. Et le reste, ce sont des lectures, beaucoup de lectures, que ça soit dans la littérature classique (de Molière à Aragon), des livres sur l'art et la sexualité, des livres scientifiques sur la sexualité, du visionnage de conférences, des rencontres, beaucoup de rencontres avec par exemple des personnes qui pratiquent certaines sexualités décalées (BDSM, cybersexe, différents modèles de couple) et puis la pratique thérapeutique en cabinet.

L'avantage de ce métier, c'est que chaque personne a quelque chose à m'apporter, au moins une opinion ou une histoire à raconter. Et d'ailleurs c'est aussi le désavantage de ce métier. En soirée, si tu veux être tranquille, il vaut mieux ne pas dire ce que tu fais dans la vie.

Comment vous êtes-vous rencontrés avec Aurélien, qu'est-ce qui vous a amenés à collaborer ? Au-delà de la complémentarité de vos compétences, en matière de sexologie pour toi et de technique pour Aurélien ?

Du coup, dans la logique de ce que je disais auparavant, j’ai commencé à assister à des conférences, dont celle du Sex Tech Lab à Paris, où Aurélien tenait une conférence. Et lorsqu’il a parlé de faire l’amour à l’océan, je me suis dit « oui pourquoi pas ? Mais comment ? »

Alors, j’ai voulu savoir comment il menait ces expéditions cybersexuelle d’un point de vue scientifique, je voulais savoir comment il avait mené son protocole de recherche. J’ai pris mon courage à deux mains, oui parce que quand on commence on se sent vraiment minuscule et surtout illégitime de demander plus d’informations, et puis on a discuté. Aurélien faisait ces expéditions avec des personnes intéressées, mais sans « science » derrière. Il m’a proposé de travailler avec lui sur l’océan et le projet « InBedWithOcean » a vu le jour.

Six mois de travail intensif, de recherches scientifiques, de tests, etc. C’était un boulot colossal. Durant six mois, je me suis trouvée plongée dans un univers qui recouvre 80% de la surface du globe. Grâce aux études de Lily John, nos propres recherches, son travail intensif pour connecter les données météorologiques de l’océan en temps réel à mes sextoys, l’aide de Pierre Friquet avec son casque de réalité virtuelle immersif, j’ai finalement eu la chance de reprogrammer mes empreintes érotiques et de faire de l’océan le meilleure de mes amants !

Bon, je pense aussi d’une manière plus générale que nous avions vraiment envie de faire ce projet. On s’entendait super bien, on avait un imaginaire complètement fucked-up. Je faisais des déplacements à Paris tous les mois. On s’écrivait tous les jours. Il y avait de la passion et de l’admiration dans nos compétences respectives.



Est-ce que vous pratiquez ? Est-ce que tu pratiques toi-même, que ce soit dans ton quotidien ou au moins de façon régulière ?

Déjà, à travers tous les projets qu’on a créés en commun avec Aurélien, on les a tous les deux testés, re-testés, approuvés, poncés, rêvés. Tu imagines bien qu'il faut pas mal d'entrainement pour lire un SMS en vibration Morse dans son vagin. (humour)

Mais d’une manière plus personnelle, j’utilise beaucoup l’association réalité-virtuelle et sextoys connectés. Ça me permet de faire l’amour à distance, tout en ayant le sentiment de présence de mon partenaire. Typiquement, il y a plusieurs choses intéressantes dans ce type de sexualité, ou de relation : le fait de vivre des expériences virtuelles, donc de créer des souvenirs affectifs, l’enjeu de présence et la sensation du toucher fantôme en réalité virtuelle, la synchronicité des sensations sexuelle avec les sextoys connectés, mais aussi un nouveau modèle de drague, de rapport à soi et à l’autre, où le jeu, l’innovation, l’imagination prennent une place prédominante. Est-ce qu’il faut que je donne un exemple ?

En général, on se donne rendez-vous sur VRchat où nous avons différents avatars, certains plus sexy que d’autres, certains avec des accessoires. On peut se faire des surprises, explorer aussi des mondes ensemble. Et puis, le son est très bien spatialisé avec les derniers casques Oculus Quest. Lorsqu’il me chuchote dans l’oreille droite, je l’entends que d’un côté de mon casque. Nous avons trouvé plusieurs techniques pour amplifier la sensation du toucher fantôme, par exemple en s’entraînant aussi avec nos casque de VR lorsqu’on est ensemble, afin que nos cerveaux, nos corps se souviennent un peu plus de cette sensation réelle.

On peut jouer des relations sexuelles impossibles, comme des relations lesbiennes en prenant deux avatars femmes, parfois on prend même exactement le même avatar ou un tout petit avatar et un géant, ou encore un monstre et un humain, voire même dans la peau d’un objet. C’est étrange, car ça nous permet aussi de réinventer aussi notre sexualité, malgré la distance. On change aussi de monde, on en crée juste pour nous deux, c’est très difficile d’ailleurs d’en parler avec des personnes qui n’ont jamais expérimenté ce type de sexualité. Ça donne des phrase comme « oh tiens, tu te rappelles c’est là que la soupe Campbell’s nous a surpris en train de faire l’amour ».

Personnellement, la cybersexualité a clairement donné une dimension extraordinaire à ma sexualité. Elle enrichit énormément ma sexualité « réelle » ou « classique ». J’aime bien cette phrase que j’ai découvert dans le livre Le Monde du sexe de Henry Miller, que j’ai trouvé dans une boîte à livre de la Croix-Rousse à Lyon : « Avec l’élimination de la peur, on peut concevoir que la vie sexuelle se mette à bourgeonner au delà de nos rêves les plus fous. Dans nos rêves, nous vivons indifféremment au passé et au futur. C’est l’homme virtuel, indestructible, qui se met à vivre en rêve. Il ‘est’, et il n’y a plus pour lui de censure : tabous, lois, conventions, coutumes sont annihilés. Dans le domaine du sexe, c’est le seul temps de liberté qu’il connaisse jamais. »

Parlons de vos projets communs et respectifs, dont cette mystérieuse application de réalité virtuelle pour les couples ?

Avec Aurélien Fache, on a fait quatre projets en commun.

InBedWithOcean était pour moi le plus intéressant. L’objectif était de faire l’amour avec l’océan, d’un côté il y avait la partie exploration de l’imaginaire océanique, reprogrammation des empreintes érotiques grâce aux caissons d’isolation sensoriel, et l’expansion de conscience grâce à la psilocybine, pour sortir du désir anthropocentriste et puis le dispositif technologique : interprétation des donnés météorologiques et transmissions de celles-ci sur le sextoy en temps réel, casque de réalité virtuel immersif. Ce projet à laisser des traces chez moi, j’ai vraiment un lien différent avec l’océan maintenant, je me sens connecté profondément avec lui, c’est d’ailleurs marrant que ça soit par le biais d’une relation cybersexuelle que je connecte profondément avec un élément naturel et réel aujourd’hui.

Puis après, il y a eu des projets plus « détente », l’objectif était souvent de rajouter un peu de poésie ou de légèreté à l’image des télédildonics. Donc, on a commencé avec PussyTalk, une application qui permettait de recevoir des SMS, des poèmes ou autres, en vibration Morse sur son sextoy. Puis, il y a eu InBedWithLaurentGarnier, où l’intensité des BPM et les variations de celles-ci étaient transférés sur mon sextoy durant tout l’édition 2019 des Nuits Sonores. C’était super drôle comme projet, parce que clairement le sextoy vibrait tellement fort, qu’en me serrant contre quelqu’un, je pouvais lui faire partager mon expérience. Et puis le dernier projet qu’on a réalisé ensemble, c’est GPSex, une sorte de chasse aux trésors - tu chauffes / tu refroidis - où vous entrez une adresse et le sextoy vibre que lorsque vous êtes sur le bon chemin. Ces trois derniers projets étaient pour moi plus du divertissement. On a jamais cherché à les vendre, ou même les protéger, si certains veulent les développer à grande échelle, welcome !



À la suite de ces projets, je me suis beaucoup penchée sur la réalité virtuelle pour ma part, c’est devenu ma nouvelle passion et je me suis associée avec différentes personnes. Par exemple en ce moment, avec Sammie DeVries, nous sommes en train de réaliser le premier podcast « live » sur la cyber-sexualité en réalité virtuelle. On souhaite inviter des experts comme Yann Minh, Virtual Mate ou Erika Lust. Là aussi, on a construit un monde virtuel pour accueillir le public, où chacun pourra participer gratuitement et anonymement. On espère vraiment que ça va marcher. On passe beaucoup de temps à réaliser des interviews, des visuels, et préparer l’émission. Aujourd’hui c’est un domaine qui est assez rarement abordé, sauf sur La Spirale, évidemment !

Et évidemment, le fameux projet de réalité virtuel pour les couples ! Je ne sais pas si je peux en dire beaucoup, parce qu’on à la frousse de se faire voler l’idée. Ça fait déjà huit mois que nous sommes dessus et ce projet me met des papillons dans le ventre. J’en rêve la nuit, alors imagine simplement la claque si un jour je me lève et j’apprends qu’un géant de l’industrie VR à pris notre idée... Game Over !

Alors disons qu’avec Daniel Gonzalez Franco, qui lui est à l’origine de l’organisation BeAnotherLab.org, on a décidé de créer une application de réalité virtuelle pour couple. L’idée est venue d’une question : comment faire perdurer la magie de la sexualité au sein du couple ? On a constaté, que plus de 80% des gens font face à une certaine routine sexuelle dans leur couple. Et puis, scientifiquement, on est beaucoup de sexologues et de psychologues du couple à faire le même constat : la crise de la sexualité est avant tout une crise de l’imagination.

Alors, on a décidé de créer un jeu de collaboration pour explorer sa sexualité ensemble. Vous pourrez explorer des fantasmes en réalité virtuelle, créés par des artistes, pensés par des philosophes, sexologues et des narrateurs, entre autres, qui vous permettront par exemple de switcher vos rôles, vos corps, d’expérimenter des rapports sexuels dans des univers complètement décalés, d’incarner des personnages très variés, mais aussi d’utiliser tous vos sens et toutes vos émotions: odorat, goût, toucher, etc. D’augmenter vos connaissances sur la sexualité et de philosopher avec la communauté autour des nouveaux contenus que nous créerons au fur et à mesure.

Le concept de base est assez simple, l’un porte un casque de réalité virtuelle et vit le « fantasme immersif » , tandis que l’autre grâce à un audio-guide synchronisé au contenu, bluffe son cerveau afin de lui faire vivre une expérience inoubliable; il prend soin de son partenaire. Le but est toujours de revenir au réel à la fin de l’expérience, que ça soit par le biais d’une discussion qui s’en suivra. Je vous donne quelques exemples : « Houla c’était vraiment bizarre d’être dans la peau d’une femme », « géniale tu as été super synchro c’était incroyable, j‘ai vraiment cru que c’était une statue grecque qui me touchait, comment as-tu fais pour faire cette texture sur ma peau ? ». Récemment, on a fait tester notre prototype lors d’une conférence à Londres. Une des journalistes m’a rappelé dans la semaine pour me dire qu’elle n’arrêtait pas de penser à cette expérience. C’est encourageant pour nous. On aimerait pouvoir lancer le jeu en décembre 2020, mais avec les derniers évènements, c’est très difficile de créer du contenu… donc on aura probablement un peu de retard, idem pour la levée de fonds. Parce qu’aujourd’hui on investit beaucoup de notre temps, nos amis nous aident, on recueille incroyablement de soutien morale auprès de notre entourage ou du milieu VR, mais c’est compliqué de suivre financièrement, on ne paie pas un artiste avec de la visibilité, eux aussi doivent remplir leur frigo.

Il y a un autre projet, qui également en pause à cause de l’épidémie, mais qu’on espère montrer sur les festivals dès 2021, qu’on a appelé BeMySextoy (en collaboration avec Daniel Gonzalez-Franco, Josephine Bories, Valerian Faure), sur le même principe que notre jeu érotique pour couple, mais cette fois-ci à destination des évènements, des salles d’expositions. BeMySextoy, c’est une expérience immersive interactive qui mixe réalité et virtualité, où tu incarnes un sextoy de sa vie dans un sex-shop jusqu’à son utilisation et donc à l’orgasme. La première partie est réalisé en caméra à 360°, tu es dans un magasin et tu échanges avec les autres sextoys autour des comportements humains, un peu à la Toy Story. Puis, la seconde partie est en animation interactive à 360°, où pour le coup tu te retrouves dans un vagin, tu dois déclencher l’orgasme de la personne avec des mouvements, et si tu y arrives tu est propulsé dans un monde orgasmique, qui a été créé grâce aux travaux de recherches de Silvie Mexico : « Synesthésie et orgasmes ». L’objectif, c’est vraiment d’aller déloger les croyances et les mythes sur les sextoys et la masturbation. Pendant l’expérience, Daniel et moi, avons des interactions physiques pour augmenter ton sentiment immersif, ex : quand tu rentres dans le vagin, on t’entoure d’une couverture chaude, etc.

Quels sont les chercheurs, les artistes et les intellectuels dont tu te sens proche, qui t'ont inspiré et que tu conseillerais à nos lecteurs ?

C’est assez marrant, car avant de commencer avec Aurélien, qui a était un peu mon mentor dans ce nouveau monde, j’étais vraiment la dernière des newbies, comme vous dites. Il faut dire que j’ai vécu toute mon enfance sans télévision, sans gameboy, sans playstation, sans ordinateur, et j'ai eu mon premier téléphone à dix-sept ans, mes parents étaient vraiment portés sur « interdit de jouer à l’intérieur et pas de technologies ». On vivait en Afrique, il faisait beau tout le temps, on avait un jardin, la rue pour s’amuser et des livres. Et puis par la suite, vu que j’étais passionnée de sexologie, je lisais énormément mais principalement dans ce domaine. J’aime beaucoup la vision de Vincent Cespedes, principalement sur l’amour, la sexualité, c’est un philosophe français. Et Esther Perel en matière de sexualité et du couple, qui est une psychologue et chercheuse belge. J’ai du rattraper beaucoup de culture de science-fiction et c’est en partie grâce à La Spirale, à Aurélien et à d’autres que je me suis plongée dans l’univers de la science-fiction et des nouvelles technologies.

Déjà, il y a Timothy Leary, j’ai lu tout ses livres, toutes ses interviews, également Lily John Cunningham. Les deux livres qui m’ont particulièrement marqué sont La révolution cosmique » (en anglais SMI2LE) et The Delicious Grace of DMoving One’s Hand. Puis il y a Phillip K.Dick, j’adore son univers, je trouve ça extrêmement fin et pertinent. Damasio, et les mondes qu’il invente, les langues, les personnages, la poésie qui se dégage de son écriture. La Spirale, évidemment, toutes vos interviews et particulièrement ton livre que j’ai dévoré : Mutation Pop et crash culture.

Chez les artistes, évidemment Yann Minh, que j’adore tant en qualité d’humain que d’artiste et de chercheur, j’avais même reproduit sa machine d’immersion cybersexuelle, le nooscaphe, en papier carton pour le lui montrer. J’aime bien ce que le couple DeviantDesigns propose en matière de jeux BDSM. Pour moi, c’est une forme d’art. Il y a aussi le collectif Le Dernier Cri, que j’ai découvert à Marseille et j’aime aussi beaucoup l’art japonais, dont Hajime Kinoko pour le shibari.

Et puis dans le monde de la réalité virtuelle, je rencontre très souvent des artistes, des passionnés qui créent des expériences immersives que j’adore. Je pense à Steye Hallema avec le « Smartphone Orchestra », mais aussi Daniel Gonzalez-Franco et son projet de danse contemporaine « Eve », Frederik Lassen avec « Parliament of things - Politics of nature », Lucas Rizzotto et « Where Thoughts Go ». J’admire les personnes que je rencontre depuis plusieurs années, j’ai la sensation d’avoir accès à des gens qui ont une certaine profondeur d’âme et restent très humbles. Dans le milieu de la réalité virtuelle, j’entends beaucoup de « on essaye, c’est pas grave si ça ne marche pas, il faut explorer ».

En fait, je pense que j’aime tous les arts, pourvu qu’ils me bousculent, qu’ils m’interrogent et me donnent à vivre des émotions. Mais je ne retiens pas bien les noms, c’est un peu mon défaut.



Le cybersexe a eu le vent en poupe dans les années 1990, alors que nous étions encore en pleine pandémie de sida. Puis l'engouement est retombé au profit du libertinage, du BDSM et enfin des sites et des applications de rencontre. Qu'est-ce qui te rend aujourd'hui optimiste quant à l'avenir des sexualités à distance, outre l'actualité immédiate et la pandémie de coronavirus ?

J’ai grandi parmi une génération qui voyage, beaucoup plus qu’avant, surtout en Europe d’ailleurs. Il faut dire aussi qu’en France, on a un passeport qui nous le permet facilement. Les gens parlent plusieurs langues, l’anglais est beaucoup plus répandu. Les programmes d’échanges, dans les études supérieures, se sont considérablement développés. Et grâce à WhatsApp, Messenger et Facebook, on garde contact même si on habite à l’autre bout de la planète.

Bref, de l’autre côté, il y a quelque chose de magnifique, c’est l’amour, ou disons le fait de « tomber amoureux »; Ça ne se décide pas, ça vous tombe dessus et donc ça peut vous tomber dessus en voyage, avec quelqu’un qui n’habite pas dans le même pays que vous, qui n’a pas la même culture. Vous pouvez être aussi amené à être extrêmement mobile dans votre travail et donc à vivre des relations à distances. C’est certains, il y a beaucoup plus de relations amoureuses à distance, aujourd’hui, qu’il n’y en avait avant. Et donc le cybersexe et sa démocratisation apparaissent comme une aubaine pour faire perdurer ces relations, avant il y avait les lettres, puis le téléphone, puis Skype. Maintenant, on a aussi les sextoys connectés et la réalité virtuelle qui s’ajoutent à tous ces outils. Il y a de nouvelles recherches, sur des combinaisons haptiques, mais pour le moment les grandes marques comme TeslaSuit fuient la sex-tech. Une morale prude les enlise dans leurs préjugés - sextech = porno obligatoirement, mais bon petit à petit on y arrivera. On va les convaincre ou bien on détournera leur produit pour en faire des combinaisons sex-tech.

Et puis, je pense qu’aujourd’hui il y a un nouveau discours qui émerge sur la sexualité, qui permet peu à peu à la cybersexualité de sortir de son image « geek, BDSDM et underground », même si j’avoue beaucoup aimer cette image. Il y a le côté « sex positive », « healthy », on voit des sex-toys gagner des prix au CES. De plus en plus d’évènements abordent la question du futur de la sexualité. Je pense que la dernière étape sera de briser l’angoisse d’une déshumanisation liée à l’utilisation des nouvelles technologies. Que serons-nous si nous nous enlevons cette sexualité qui nous est propre et la transférons à la technologie ?

Cette vision dichotomique du monde, blanc ou noir, nos angoisses nous empêchant de penser la nuance. Il faut choisir, soit c’est le virtuel soit c’est le réel, Bright Mirror ou Black Mirror. À vouloir tout unifier, tout standardiser, nous clivons notre futur plus que nous ne l’ouvrons. Il va falloir encore pas mal de discours pour faire comprendre aux gens que la cybersexualité n’a pas à vocation à remplacer la sexualité classique, mais qu’elle en est une excroissance pleine de potentielle. Et si avant de nous gargariser avec nos angoisses, nous réfléchissions autrement ? Qu'avons-nous finalement à gagner en terme de sexualité quand on pense au futur ? Et le saurons-nous vraiment avant d'y avoir mis les pieds ?

Nous venons d'évoquer, au sujet du sida, les risques qui peuvent être liés à une promiscuité « traditionnelle ». Existe-t-il une nouvelle catégorie de risques liés à la cybersexualité ?

J’aborderais trois types, mais je ne suis vraiment pas spécialiste dans ce domaine. Je dirais le vol des données, donc disons la protection de la vie privée. Et la cyber-identité, j’entends par là l’usurpation de votre identité en ligne, ou même le fait de ne pas vraiment savoir à qui on s’adresse. J’ai réalisé des interviews sur VRchat à ce sujet et ils étaient plusieurs à me dire « on peut te faire croire à une histoire d’amour, alors que tout est un leurre, c’est vraiment dur à encaisser ». Ou encore feindre certains comportements, une certaine identité très éloignée de la réalité. Il y a aussi le harcèlement, qui est assez similaire à la réalité de ce côté-là, sauf qu’on a encore la chance de pouvoir bloquer la personne et de la faire bannir de la plateforme, si besoin.

Le troisième, c’est probablement la perte des repères dans la réalité. De ce côté-là, on dispose de peu de donnés et de recherches. Mais c’est évident. Et je pense que la plupart des personnes qui, comme moi, passent du temps dans la réalité virtuelle, ont remarqué qu’il faut parfois un temps plus ou moins long pour se reconnecter au réel. Typiquement, la dernière fois j’avais passée trois heures sur Tiltbrush, une application de dessin en 3D, en enlevant le casque, j’ai voulu agripper à pleine main un dessin qu’il y avait sur mon mur en 2D, évidemment. Ou encore, il m’arrive quand je ferme les yeux de mixer l’image réel de mon partenaire avec son avatar, ça après de mon côté ça ne me dérange pas, je trouve ça plutôt drôle.

Dans tous les cas, il y a évidemment des risques, mais je pense que nous avons tout à gagner à nous focaliser sur nos valeurs fondamentales et à faire évoluer la science et la technologie en adéquation avec celles-ci plutôt que de concentrer nos forces intellectuelles autour des conséquences positives ou négatives d’une telle avancée technologique. Créons le futur que nous souhaitons, en développant des contenus qui nous permettront de nous libérer, pour moi la cybersexualité en fait partie.

En prévision d'un effondrement du trafic, pour raison climatique, une compagnie aérienne japonaise prévoit des visites virtuelles par robots interposés des grands sites touristiques de notre planète. Déjà un exemple marquant de ce que pourrait être la prochaine grande révolution virtuelle. Comment imagines-tu ce futur ? Et quels sont les innovations qui t'ont le plus marqué ?

C’est une question difficile, j'ai du mal à imaginer le futur. Aujourd'hui, j'ai toujours l'impression qu'on a une vision apocalyptique du futur, typiquement dans les films, ou les livres. On est toujours enchaînés à des dictatures technologiques ou politiques, le monde réel se trouve toujours plongé dans les ténèbres. J'aimerais peut-être juste qu'il y ait des temps de pauses, durant lesquels, six mois par an, on laisse la nature reprendre doucement, les oiseaux et les animaux être libres, un peu comme en ce moment d'ailleurs, et qu'on arrive à trouver un équilibre, avant un effondrement total. S’il doit y avoir un futur, peut-/être que l'univers de la bande-dessinée Alt-Life de Thomas Cadène, Joseph Falzon et Marie Galopin, me plairait.

Je dirais que toutes les technologies haptiques, qui nous permettront de ressentir le toucher au sens large (pression, texture, température et volupté) constitueront de réelles avancées technologiques, ce sont celles que j’attends le plus ! Et puis évidemment, l’évolution de la réalité augmentée, car dans ce domaine aussi je pense qu’il y a des milliards de possibilités en matière de cybersexualité. Pour moi, tout tourne autour de la question : « comment dépasser les limites physiques - corporelles- et de la physique - espace / temps ? » C’est à dire, comment nous rapprocher encore plus, nous connecter ensemble et, de l’autre côté, comment rallonger ou raccourcir le temps. En général, notre cerveau arrive à modifier cette perception d’ors et déjà « par exemple en confinement, les semaines semblent beaucoup plus longues ». (humour)

Et sinon, ce dont je rêve, c’est d’arriver à me téléporter, mais vraiment, réellement, avec mon vrai corps, dans des vrais lieux. En attendant, la réalité virtuelle m’en donne un avant-goût.



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Titre : CATHLINE SMOOS « THE VR SEXOLOGIST »
Auteur(s) :
Genre : Interview
Copyrights : La Spirale.org - Un eZine pour les Mutants Digitaux !
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Sexologue et psychologue de formation, Cathline Smoos fait partie de la nouvelle génération de pionniers qui arpentent et défrichent les arcanes du cyberespace. Avec dans son cas, une approche spécifique axée sur le plaisir, le sexe et l’amour, au travers des innombrables déclinaisons et formes de réalités qu’autorisent ces nouveaux horizons virtuels.

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