OTOMO DE MANUEL « WHO KILLED NANCY »


Enregistrement : 04/09/2022

Nos lecteurs les plus assidus connaissent bien Otomo de Manuel, déjà intervenu à plusieurs reprises sur nos pages. Que ce soit au sujet de la compagnie de danse et de performances Materia Prima, de son fameux TOTEM, du festival Souterrain qu'il y organisait ou encore de son Cabaret rouge parisien.

Toujours sur le fil du rasoir, Otomo est de retour, cette fois-ci en tant que réalisateur de Who Killed Nancy. Un film documentaire autour de la scène artistique et musicale nancéenne des années 1980, avec le groupe Kas Product et sa chanteuse Mona Soyoc en impressionnante figure de proue. « Si jeune, mais si froide. »

Who Killed Nancy sera présenté en première mondiale et en présence de son réalisateur lors de l'édition 2022 de L'Étrange Festival, les 13 et 14 septembre à 20:00.


Propos recueillis par Laurent Courau.
Images de une © Paul Slattery & Kas Product




L'ÉTRANGE FESTIVAL 2022 : WHO KILLED NANCY

SÉANCES

13/09 • 20h00 • Salle 100

En présence du réalisateur Otomo de Manuel
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14/09 • 20h00 • Salle 100
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PRÉSENTATION DE WHO KILLED NANCY
Extrait du catalogue de L'Étrange Festival 2002

Sous ce titre de thriller hitchcockien se cache une épopée nancéenne survitaminée, celle d’une scène indé post-punk à l’identité artistique singulière née dans le sillage du mythique groupe Kas Product. Une scène incroyablement prolifique et expérimentale, caractérisée au départ par un son qui voyage entre la no wave, la cold wave, la musique industrielle et le punk. Alors qu’elle annonce déjà l’explosion de la musique électronique à venir, cette scène va croître de façon débridée, reprenant à son compte le Do It Yourself punk, pour produire de la musique, du cinéma, des arts plastiques et des performances. Who Killed Nancy retrace l’aventure de l’une des plus importantes scènes rock hexagonale. C’est d’ailleurs un éclectisme que partage Otomo De Manuel lui-même, en tant qu’artiste travaillant à la fois dans la mise en scène, la performance, le cabaret, la musique ou le cinéma.




Otomo de Manuel © Stéphane Hervé

Bien qu'ayant du mal à nous croiser de visu dans la vie « réelle » (sourire), nous nous retrouvons une fois de plus sur La Spirale. Cette fois-ci pour évoquer un film, Who Killed Nancy, que tu as réalisé et que le catalogue de L'Étrange Festival 2022 qualifie d'épopée nancéenne sur-vitaminée dans le sillage du mythique groupe Kas Product. Peux-tu revenir rapidement sur ce qu'il s'est passé en Lorraine durant les années 1980, pour nos jeunes lecteurs qui n'en auraient pas connaissance ?

En préambule, il faut partir du constat qu’il ne se passait rien. Ou du moins, rien de notablement intéressant pour la jeunesse. En résumé, on comptait un très bon festival de Jazz, Le Nancy Jazz Pulsation, et le temps attendu Festival Mondial du Théâtre organisé par Jack Lang, et voilà.

Pendant plus de quinze ans, Jack Lang a dirigé un festival international de théâtre dans lequel il a eu la merveilleuse idée de faire venir tout ce que la planète comptait de fous et d’avant-gardistes dans les domaines du théâtre, de la danse ou de la performance. Ça durait une quinzaine de jours et il donnait à découvrir au monde des figures jusqu’alors inconnues comme Pina Bausch, Shuji Terayama, Tadeusz Kantor, Bob Wilson, la danse Buto et plein d’autres choses plus novatrices les unes que les autres. Ça a beaucoup imprégné, influencé la culture de la ville.

Mais le reste de l’année, il faut bien admettre qu’il ne se passait vraiment pas grand chose. Pas de bar de nuit, pas de salles de concerts, rien.

La chance en revanche, c’est qu’il y avait des disquaires. Dont Francis Kremer qui aujourd’hui encore reste le plus vieux disquaire encore en activité en France. Or, le dit Francis Kremer, a monté une boutique en décembre 1974, qu’il a appelé Punk Records. Bien avant l’explosion du punk anglais. Le génie de l’homme c’est d’avoir été un chineur et d’avoir su alimenter sa boutique avec tout un tas d’imports. Notamment, beaucoup de choses venues directement des États-Unis et totalement connectées avec la scène punk américaine et ce qu’il se passait à New York à la même époque. Ça a aussi profondément influencé la jeunesse locale et forgé l’éducation de Spatsz et de Mona Soyoc qui finiront par monter le mythique groupe Kas Product fin1979, début 1980. Dont Francis Kremer produira d’ailleurs le premier 45 tours, quelques temps plus tard.

La création de Kas Product, un événement d’apparence anodine, va enflammer toute la zone et initier toute une vague créative expérimentale, d’avant-garde. Post-punk, no wave, cold wave et industriel dans l’âme. Ce, au point qu’en 1994, soit 15 ans plus tard, M6 ira jusqu’à recenser 600 groupes assimilés rock dans l’agglomération. (rire).

Voilà pour tracer une trajectoire dans les grandes lignes.



OTO © Philippe Thiébaut

Je crois me souvenir que tu as été le premier à décider Kas Product à revenir sur scène en 2011, dans le cadre du festival Souterrain Porte VI au regretté Totem. Que représente pour toi ce groupe, assez incomparable dois-je l'avouer ?

Comme pour toutes les personnes de ma génération, qui ont grandies à Nancy et qui ont eu envies de faire des choses, Kas Product a représenté un possible. C’étaient des stars pour nous. (rire) Il y avait bien Charlélie Couture, Tom Novembre, Pierre Eliane voir même C. Jérome, tant qu’on y est. Mais c’est pas tout à fait la même histoire, si tu vois ce que je veux dire (rire). Même si tout nancéien garde secrètement Poème Rock dans son cœur ou, à tout le moins, dans sa discothèque. (rire)

Kas Product arrivait avec un mind-set radicalement novateur. Le son, l’attitude, les fringues. Tout, ils osaient la beauté, la ligne sharp, radicale, sexy froid, les fringues noires, un truc qui sentait la nuit, la passion, l’errance, la rage. On avait jamais vu ça. Ils étaient totalement dans l’air du temps de ce qui se passait de l’autre côté de l’atlantique. Une sorte de Suicide, en plus pop et incroyablement plus sexy, à cause de sa chanteuse. Même pour moi qui était minot, je devais avoir 13 ou 14 ans au plus, leur aura infusait sur la ville. Autour de moi, les gens voulaient faire des groupes, ça paraissait possible.



Kas Product © Sounds Magazine

On l'oublie souvent mais les mouvances punks, post-punks, new wave et industrielles ont essaimé dans toute la France au début des années 1980. Loin de se cantonner à la seule capitale, au Gibus et au Rose Bonbon. Reste que les villes possédaient souvent une saveur particulière, probablement liée à leur climat, ainsi qu'à leur héritage social et culturel. Qu'est-ce qui caractérisait Nancy dans les années 1980, selon ton propre regard ?

Le climat et l’héritage social et culturel, c’est exactement ça. Déjà, il faut saisir que Nancy est blottie au cœur de la Lorraine. C’est une ville qui joue les petites bourgeoises coquettes, avec son architecture « art nouveau » et sa place Stanislas, mais c’est oublier que lorsque tu vas te balader en campagne, tu marches sur les cadavres. La campagne Lorraine n’est qu’un immense charnier. Des monceaux de cadavres ensevelis par deux guerres mondiales, dont la région était la ligne de front.

Il faut aussi considérer que la Lorraine est aussi un vaste bassin sidérurgique. Notamment la partie nord. Beaucoup d’usines, de hauts fourneaux, d’ouvriers et toute l’émigration qui va avec. Polonais, portugais, Italiens, espagnoles, africains du nord, yougoslaves.

Ligne de front et guerre mondiale voulait aussi dire la présence de bases. Et particulièrement des bases américaines. La présence des américains a apporté très tôt le rock dans la région. D’ailleurs, dans les années 1950, va ouvrir un des plus vieux bar rock de France encore en activité, Chez Paulette. Paulette qui, à 98 ans aujourd’hui, programme toujours du rock ’n’ roll. Avec l’aide de son mari, de ses fils et petits-fils. Et pas que du R’n’R à la Elvis ou à la Eddie Mitchel, si tu vois ce que je veux dire (rire), mais les Meteors, Exploited, Dr Feelgood. Tout le monde est passé et repassé Chez Paulette.

Ensuite, vient le fait que nous soyons à cent kilomètres de l’Allemagne et de la Belgique, à deux cent cinquante kilomètres de la Hollande. On imagine ce qui peut se dessiner culturellement.

Un autre point notable est la présence des Beaux-Arts et d’une école d’architecture. Avec une certaine renommée nationale, due à l’explosion de ce qu’on a appelé le style « école de Nancy » ou à des figures comme Jean Prouvé. Beaucoup de membres influents de la scène viennent de là. À commencer par Charlélie et Tom Novembre, d’ailleurs. Ou des Beaux-Arts d’Epinal et de Metz, qui venaient se connecter à la scène de Nancy.

Enfin, ajoute à cela un climat qui donne plus envie de taper sur des fûts en acier dans des usines désaffectées, que d’écouter du Steel Pulse en face d’un couché de soleil en bord de mer et tu as le tableau. (rire)



Les hauts-fourneaux de Hayange © Thomas Riboulet

Je viens d'évoquer Kas Product, plus haut. Mais Nancy possédait aussi un magasin de disques et un label de renommée internationale, Les Disques du Soleil et de l'Acier. Peux-tu nous en toucher quelques mots, d'autant que je n'ai pas eu la chance de le connaître sinon au travers de ses productions que j'achetais pour ma part à New Rose ?

Alors, la boutique c’est Wave. Son tenancier, Gérard Nguyen, a en effet monté le label Les Disques Du Soleil et de L’acier. Il a d’ailleurs été aussi le manager des Kas Product ou de Dick Tracy.

Gérard Nguyen est un mec très, très exigeant question musique. Sans compromis. Tu venais dans sa boutique pour chercher Exploited ou les Damned, s’il était mal luné, il savait te faire sentir qu’il fallait que tu dégages. Les punks à crête ne l’intéressaient pas du tout. En revanche chez lui, tu trouvais tout ce qu’il y avait de plus pointu. Du krautrock, Can, Japan, bien sûr, Ryuichi Sakamoto évidemment. La scène anglaise Coil, Psychic TV, Throbbing Gristle ; plus tard Devo, Minimal Compact, Test Department, les Einztürzende Neubauten, incontournable.

Lui-même produisait aussi beaucoup avec son label. Aussi bien Sprung Aus Den Wolken que Pascal Comelade. Il faisait des allers et retours au Japon, ramenait avec lui des mecs comme Keiji Haino. Il organisait des concerts d’Einstürzende Neubauten, ça forgeait une culture. Après, Gérard c’est celui que l’on retient parce qu’il a été le premier à emmener les choses à un certain niveau. Aussi parce que, dans les années 1970, il avait fondé la revue Atem qui était déjà à l’avant-garde dans le genre, avec une certaine notoriété nationale.

Mais il n’était pas le seul, loin de là. Il y avait aussi Richard Franoux de Permis de Construire qui a produit entre autre les Nox de Metz ou encore Geins’t Naït à leur tout début. Il y avait Christian Vincent, manager des Nox et son label Dum Dum Records aussi, qui a produit une compilation restée culte encore aujourd’hui.

Au début des années 1990, est aussi apparu le label Ici d’Ailleurs, monté par Stéphane Grégoire. Un ancien de chez Wave qui a comme fait d’arme d’avoir découvert et produit Yann Tiersen. Ou encore des gens come Matt Eliot ou le Chapelier Fou. Comme toute scène d’une petite ville de province, tout le monde se connaît, se tire la bourre, rivalise d’audace. Le résultat dans un contexte pareil, c’est que tu écoutes plein de choses souvent bien avant qu’elles n’acquièrent de la notoriété. (rire)

Même des artistes comme Tété ou des Dj comme Worakls ont fait leurs armes à Nancy, avant d’exploser ailleurs. Nancy c’est la ville des expériences. Très underground dans son ADN.



Gérard Nguyen © Archives Gérard Nguyen

Outre Kas Product et le label de Gérard Nguyen, peux-tu nous donner un aperçu des figures nancéennes que nous allons découvrir dans ton film ?

Je ne pouvais pas dans le film faire un tour d’horizon exhaustif. Ce n’était pas possible, il y a vraiment beaucoup trop d’artistes. Je me suis attaché à des figures liées à mon histoire personnelle. En me concentrant sur des groupes ayant eu une certaine aura, une certaine notoriété. Il ya Dick Tracy par exemple, dont le batteur Chick Ortega deviendra l’acteur qu’on connait et dont le chanteur guitariste, Laurent Petitgand, a signé onze B.O. de films pour Wim Wenders, des morceaux pour Bashung ou encore des musiques pour les spectacles d’Angelin Preljocaj.

Vincent Hachet de Geins’t Naït, déjà bien connu à l’Étrange Festival qui participera à la création de L’Oeil du cyclone au début de Canal+. Les Double Nelson, et même Geins’t Naït d’ailleurs, qui fêtent leur 40 ans de carrière. Oto dont le titre Anyway totalise plus d’un million de vues sur YouTube, sans clip. Juste avec la pochette du premier album. (rire) Il y aura des groupes plus récents comme Winter Family, voir dans un registre plus alternatif Les Amis De ta Femme. Ou encore FLX, ancien chanteur du groupe de fusion hardcore Atomic Kids, qui a lancé tout le mouvement vandale, graffiti, street art local à la fin des années 1980.

Mon regret reste de ne pas avoir réussi à choper Virginie Despentes. Même si ce n’était pour qu’elle me dise pourquoi elle avait fini par se barrer vite fait du pays des forêts, des fantômes et de la grisaille, pour prendre l’air ailleurs. J’aurais bien aimé collecter son ressenti. Next time. Après, son œuvre reste hantée par Nancy.

Il y a cette caractéristique notable dans la scène nancéienne, c’est une présence quasi paritaire de nanas bien énervées qui font des choses. La Lorraine est une ancienne région occupée par les Leuques et les Médiomatriques. Ces tribus celtes avaient déjà à leurs têtes des princesses bien énervées et en ouverture sur le monde. Ça doit venir de là ! (rire)



Who Killed Nancy est programmé en première mondiale les 13 et 14 septembre 2022 dans le cadre de L'Étrange Festival. Est-ce que d'autres projections seraient d'ores-et-déjà prévues pour les amateurs qui ne pourront se rendre au Forum des images à cette période ?

« En première mondiale », ça me fait rire ! (rire)

Alors, initialement Who Killed Nancy c’est la version de 52 minutes prévue pour les chaînes TV. C’est une version plus pop, plus sur l’énergie et la ville. Il y a une version longue qui s’intitule So Young But So Cold, titre d’un morceau de Kas Product. Cette version va se promener un peu, dans quelques cinémas d’art et d’essai. Notamment à Nancy et à Metz à partir du 3 octobre. Des choses sont aussi prévues à Reims et à Paris, mais je ne sais pas quand. Cette version est plus intimiste. Elle va chercher un peu plus dans « l’âme » des acteurs et de la scène.

Après, il faudra rester à l’affût parce que cela reste du film de niche. Un truc pour passionnés de rock, des années 1980, d’underground et d’indépendance. Peu de chance de voir les films rester à l’affiche très longtemps. (rire)



Le TOTEM © Materia Prima art factory

Excellente surprise, donc, que la sortie de ce film documentaire ! Mais te connaissant, je ne doute pas que tu aies d'autres projets sur le feu. Peux-tu nous donner un rapide aperçu de ce qui t'accapare en parallèle de la sortie de Who Killed Nancy ?

Depuis la fermeture de Materia Prima et du TOTEM, je dois bien avouer qu’il se passe beaucoup de choses et dans de nombreuses directions. Mais au final, même si je jongle avec les mediums, je crois qu’on garde toujours les mêmes obsessions.

Juste, j’ai décidé de ne plus m’emmerder la vie et de suivre mes envies, à l’instinct. En fuyant encore plus les sentiers balisés et en essayant de rester à fleur des radars. Par exemple, j’ai remonté une nouvelle compagnie Pinky Panda Production avec laquelle j’ai présenté cet été une petite forme performative Keep on, Walk and Walk, Walk The Speakers, en IN à Avignon. Avec deux jeunes artistes incroyables, la danseuse Éléa Ha Minh Tay et le musicien Ranga Langa.

Ailleurs, je finis un disque avec mon camarde et auteur Tarik Noui, avec qui j’ai en parallèle au moins dix projets sur le feu. (rire) Dont, évidemment, la In Coney Island Society avec Sophia « Sagesse » Annane et Karelle Prugnaud. D’autres projets de documentaires qui me trottent dans la tête et toujours le projet de bouquin dont je t’avais parlé, des rôles dans des fictions, toujours mes collaborations avec la scène hip-hop du Cameroun. Encore des jeunes avec d’autres codes et un talent de dingue qui se sont mis à la performance et qui déchirent tout. Plein de choses dans les starting-blocks donc, mais je me laisse porter par le flow. Ce fera ce qui se fera.

En fait, je te dirais que ce qui me passionne vraiment depuis trois ans, c’est le yoga et la découverte de l’Inde ! (rire)



Keep on, Walk and Walk, Walk The Speakers © Christophe Raynaud de Lage

Et enfin, pour conclure, nous plaisantions quelques minutes en arrière sur notre époque et son ambiance si particulière. Qui ne va pas sans rappeler les histoires que nous nous racontons depuis quelques décennies au travers de ce qui faisait figure de fantasmes cyberpunks et science-fictionnels. Comment vis-tu ce moment si particulier de l'histoire de notre espèce et de nos civilisations, qui me semble appeler une bonne dose d'humour, beaucoup de recul et de sang-froid ?

Oui en effet. D’où le yoga ! (rire) Jamais à 20 ans j’aurais imaginé qu’on puisse en arriver là où on en est aujourd’hui. C’est tellement vertigineux lorsqu’on prend quelques minutes pour s’arrêter sur l’ampleur de la situation. Ça en deviendrait presque effrayant ! Pourtant, ça fait juste trente ans que mon travail vise à traduire ce naufrage, mais là où je pensais n’avoir de l’eau que jusqu’aux genoux, je m’aperçois que le niveau est très rapidement monté jusqu’aux oreilles. Du coup, depuis deux ans, avec Sagesse, on s’est aussi mis à l’apnée. (rire)

Le yoga a également été une révélation de ce point de vue.

Une façon de se laisser traverser par le flux d’informations, en recherchant une forme d’ataraxie. De sérénité. J’ai culpabilisé de cette sérénité au début. Mon côté guerrier, issu d’une famille de militaires, ça ne me paraissait pas normal. Comme quoi on peut devenir accro à tout et n’importe quoi, même aux emmerdes et à l’effondrement. Finalement, en essayant de maîtriser le flux, j’ai fini par accepter le fait de ne être pas obligé de collaborer au merdier ambiant et à la construction de l’enfer sur Terre. C’est un jeu qui ne m’amuse plus, toute cette cacophonie vide de sens. Du coup, je me tiens le plus loin possible des réseaux. J’apprends la mesure, le retrait. Je retourne en fait à mon premier territoire, l’underground, en empruntant le plus possible les chemins de traverse.

Bien sûr, je m’informe toujours un peu et essaye de faire au mieux pour contribuer à ma façon. Mais j’ai perdu toute prétention d’avoir une quelconque solution pour sauver le monde. Encore moins avec l’art et la culture. En fait, je me crée un monde. Et si des proches ou des passants s’y sentent bien quelques instants, c’est déjà pas si mal. Après, on ne se refait pas totalement non plus n’est-ce pas, je reste culturellement un Lorrain. Ici c’est la ligne de front. Les gens ont tous un douze planqué quelque part sous un capot. Encore plus dans les campagnes. (rire) Des fois que certains malfaisants décident de vouloir trop prendre les mirabelles pour des choco pops.

En revanche, ce qui m’attriste, c’est comment tout le monde semble d’accord pour s’enfermer dans des systèmes. De renoncer à la liberté, au rêve, à l’audace, au partage, à l’exploration, à l’aventure sans préjugés. Tout ça pour se replier dans tout un tas d’enclos et de cages identitaires. Comme si un manque d’inspiration, d’imagination, empêchait les gens de pouvoir se définir par delà leur identité ethnique, territoriale, culturelle, religieuse, de genre, voire sexuelle. C’est tellement barbant tout ça, au moment où la science n’a jamais poussé aussi loin les limites. C’est tellement contraire aux croyances qui nous habitaient à la fin des années 1980, faites de découvertes, de partage, de fusion et de liberté.

J’avoue que toutes ces querelles de clocher me chagrinent beaucoup. Les gens se prennent trop au sérieux sur ce qu’ils sont, en oubliant que l’histoire finit pour tout le monde pareil. Une fin qui peut nous surprendre à n’importe quel moment. Et que c’est avec nos sapins des Vosges qu’on fabrique les cercueils. (rire)

Du coup, autant en profiter pour se marrer loin de la gabegie et faire l’amour pendant les quelques minutes qui nous restent. (rire)



Otomo de Manuel © Grégoire Petit



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Otomo de Manuel est de retour sur La Spirale, cette fois-ci en tant que réalisateur de Who Killed Nancy. Un film documentaire autour de la scène artistique et musicale nancéenne des années 1980, avec le groupe Kas Product et sa chanteuse Mona Soyoc en impressionnante figure de proue. « Si jeune, mais si froide. »

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